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Petite causerie pédagogique n°30
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Petite causerie pédagogique n° 30

Aujourd’hui : que faire ?

 

Depuis hier, je suis troublé, très troublé. J’étais à Liège, devant un panel de personnes venues nous[1] écouter parler, entre autres, de la liberté en éducation. Dans le même temps, à Paris,  se jouait un drame à l’encontre de la liberté.

Ce matin, j’entre dans le grand grenier et je découvre une inscription écrite au-dessus d’un visage dessiné au tableau : « Je suis Charlie ! ».

Que faire ?

Faire semblant de rien ? Inopportun quand on désire éveiller le sens critique.

Donner mon avis ? Dangereux si on ne veut pas instrumentaliser les enfants.

Les faire parler ? Que faire de leurs paroles ?

Ceci dit, ils n’ont pas attendu ma permission, ils parlent :

– Qui c’est Charlie ?

– Je pense qu’ils n’ont pas appris à comprendre l’humour.

– En plus il paraît qu’ils étaient très calmes.

Tu te rends compte, douze personnes !

Je suis devant un terrible problème pédagogique et éducatif. Que faire avec les enfants pour parler et métaboliser un tel événement qui, tout à la fois, les touche et les dépasse ? Ce n’est pourtant pas la première expérience du genre, mais la situation reste tout aussi délicate que les précédentes.

Alors, je me suis lancé en évoquant deux thématiques qui me semblaient tout à la fois compréhensibles et lourdes de sens pour des enfants de dix-onze ans : l’apprentissage de la liberté et l’apprentissage du « non ». Ils ont compris tant le sens des sujets proposés que celui de mon embarras. Et nous avons parlé, remarquablement.

Puis ce que je redoutais a surgi : « On va écrire un article sur le site ! »

Croyez-moi, la question de la liberté d’expression, on peut la vivre à toute petite échelle !

Là aussi je me suis lancé en leur disant que je ne voulais pas qu’ils écrivent pour me faire plaisir. Les grandes personnes qui lisent nos articles pourraient penser qu’ils écrivaient, en définitive, des idées qui n’étaient pas les leur.

Mais non JF ! Que ceux qui n’ont pas envie d’écrire ne le fassent pas, c’est tout.

C’est tout…

Ils ont donc écrit (extraits) :

« Je crois qu’ils pensent que leur religion est meilleure que la nôtre. Pourquoi ont-ils fait ça ? Il y avait des personnes innocentes. Tuer des gens qui ont fait un journal d’humour, c’est vache ! »

«  Je trouve que tuer des gens avec de l’humour, pour des dessins de caricature….Pourquoi ? »

« Moi je pense que ça ne se fait pas de tuer quelqu’un qui avait de l’humour et qui était innocent. Par contre je trouve que c’est bien que chacun envoie « Je suis Charlie » pour soutenir sa famille et pour manifester notre désaccord envers les assassins. Et je trouve aussi que nous devons être libres de notre art ! »

« Moi je trouve que c’est pas drôle, surtout pour les familles. »

«  Je me pose une question : pourquoi ont-ils fait cette action de tuer des personnes. Ils auraient juste pu leur demander gentiment ou alors se venger autrement. »

« Pour nous ces dessins étaient drôles, mais pour eux, non. Mais pourquoi avoir tué ? »

Et j’ai accepté de publier.

Je suis maintenant assis dans mon bureau avec devant moi la poésie de Prévert « Le cancre ». Et je me dis que s’il y bien une seule tâche à accomplir à l’école, c’est de les engager à dessiner le visage de leur bonheur avec les craies de leurs envies, manques, désirs, besoins en évitant à tout prix le tableau noir du malheur.

A tous les dessinateurs.

 

A méditer et à partager avec qui vous voulez.

JF Manil

 

 

 

 

 

[1]Léonard Guillaume et moi-même

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2 Comments to “Petite causerie pédagogique n°30”

  1. Gaëlle Boulet dit :

    Merci pour cette liberté laissée à nos enfants, merci pour ces questions si délicates et qu’il est tellement important de se poser. Votre responsabilité d’enseignants est énorme face à ces problématiques sociétales fondamentales car vous êtes au premier rang pour le dialogue, l’écoute et l’expression de cette belle jeunesse. Les débats, ce soir, étaient animés à table autour de la question, chacun revenant avec ces réflexions portées dans son collectif. C’est sans doute ça, accompagner ensemble, parents et enseignants, les enfants à devenir des citoyens responsables.
    Gaëlle

  2. ERNOUX dit :

    Bravo JF

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